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L’AGEFI : “Les boutiques de M&A paient le retournement du cycle”

Stéphane Olmi

06/16/2023

A défaut de transactions à traiter pour leurs clients en 2023, les conseils en fusions-acquisitions deviennent leurs propres pourvoyeurs de deals. En quelques semaines, une demi-douzaine de boutiques M&A ont choisi de se faire racheter. Du britannique Arma Partners, spécialiste de la tech, à la banque d’investissement américaine Jefferies, les tailles et profils diffèrent, mais la logique reste la même : l’adossement, via une prise de participation minoritaire ou majoritaire, à des banques plus diversifiées (voir tableau). En vedette, la reprise du courtier Numis au Royaume-Uni par Deutsche Bank, qui signe les ambitions retrouvées du numéro un allemand après des années de restructuration, et celle de Greenhill aux Etats-Unis par le japonais Mizuho Financial.

Le plongeon de l’activité a de quoi faire réfléchir plus d’un dirigeant de boutique. L’an dernier, la valeur des transactions annoncées a plongé de 30%, selon Dealogic. Au premier trimestre 2023, le recul atteint 48% sur un an et 27% par rapport au dernier trimestre 2022. Le renchérissement du crédit et les attentes trop élevées de la part des vendeurs font échouer de nombreux processus de vente, notamment chez les fonds d’investissement, ou en rallongent la durée.

Le gâteau des commissions à se partager diminue, mais l’on dénombre toujours plus de banquiers autour de la table. Il y a vingt ans, les belles boutiques se comptaient sur les doigts d’une main : Lazard, Rothschild, Perella Weinberg, Evercore… D’autres les ont rejointes et sont devenues des valeurs sûres de Wall Street, à l’image de PJT Partners et Centerview, qui ont d’ailleurs ouvert récemment des bureaux à Paris. Les revenus sont sous pression, les charges aussi. La guerre des talents dans la banque d’affaires en 2020 et 2021 a conduit à une inflation des rémunérations et accru la base de coûts. Lazard en a tiré les conséquences en annonçant la suppression de 10% de ses effectifs cette année.

Le poids du bilan

Les pure players du conseil en M&A, qui n’ont pas d’activités de trading ou de gestion de fortune pour amortir le choc, sont les plus fragilisés. «Il est fondamental d’être un spécialiste reconnu d’un ou plusieurs secteurs, estime Stéphane Olmi, gérant de la banque d’affaires Gimar &Co, active dans les services financiers et la défense. Les boutiques généralistes, elles, sont confrontées à la concurrence des maisons qui ont une marque forte et rassurante pour les clients, et à celles qui peuvent apporter de la dette». Dans un marché où l’argent a cessé de couler à flots, «la capacité à financer des transactions sur son bilan redevient un argument clé vis-à-vis des dirigeants d’entreprise», explique le patron d’une banque d’investissement étrangère à Paris.

En laissant Sumitomo Mitsui prendre 4,5% de son capital en 2021 – une part qui va passer à 15% –, Jefferies s’est ainsi assuré 2,25 milliards de dollars de financements de la banque japonaise. Chez Greenhill, la question du bilan se faisait encore plus pressante. La boutique devait rembourser d’ici avril 2024 un prêt de 272 millions de dollars, une échéance que son nouvel actionnaire Mizuho lui permettra de passer sans problème.

Choc des cultures

Le rachat de Greenhill traduit aussi les limites de l’aventure boursière du secteur. La banque américaine avait été la première à se coter en 2004. La Bourse devait en même temps permettre d’attirer des talents en les payant en actions cotées et offrir de la liquidité aux associés. Mais elle n’a pas évité à Greenhill un déclin relatif ces dernières années, ni empêché le départ d’équipes entières vers des concurrents. L’action affiche de piètres performances, tout comme celles de Perella Weinberg et de Lazard (voir graphique). De ce côté-ci de l’Atlantique, Rothschild & Co a décidé en février de se retirer de la cote, lassée par la faible liquidité de son titre et le désenchantement qui touche les valeurs bancaires. «Il faut aller en Bourse quand les prix sont élevés et en sortir quand les prix sont bas», commente un banquier.

D’autres rapprochements devraient donc émerger dans les mois à venir. «Il y a aujourd’hui beaucoup d’opportunités dans le marché», expliquait le 13 juin Franck Portais, co-président de la banque d’investissement espagnole Alantra, à L’Agefi, «et cela peut passer par des opérations de croissance externe». A condition de savoir marier les cultures dans un métier où les egos sont souvent proportionnels aux bonus. «Il est toujours compliqué d’intégrer des stars du M&A dans des banques universelles où on leur demande aussi de vendre les autres produits du groupe»,rappelle l’associé d’un cabinet de conseil en stratégie. Et tous les mariages entraînent leur lot de départs, comme on l’avait vu chez Messier Partners à Paris après son adossement à Mediobanca. C’est aussi dans ces moments-là que naissent les vocations d’entrepreneurs… et les futures boutiques.

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