Entrée à Wall Street ce jeudi, la banque digitale brésilienne Nubank, créé il y a sept ans à peine, a vu son cours exploser de plus 30% pour afficher une capitalisation boursière de plus de 50 milliards de dollars. De quoi porter les espoirs des autres néobanques dans le monde qui attendent leur tour. Le concept de banque digitale multiservices et multiproduits séduit les investisseurs. C’est également la stratégie adoptée par les principales néobanques, dont la fintech britannique Revolut qui vient de changer de statut en Europe en Revolut Bank. Analyse.
Nu Holdings (Nubank), la success story bancaire de l’Amérique latine, vient de lever 2,6 milliards de dollars lors de son introduction en Bourse, jeudi, à New York. Le prix de l’action à l’introduction a été fixé à 9 dollars, en haut de fourchette. Mais cette dernière a été réduite de 20% la semaine dernière en raison de la volatilité des marchés.
Malgré tout, la toute jeune banque digitale a ouvert sa première séance sur une hausse de 25%, pour clôturer à 10,33 dollars (+15%), sur un marché en léger recul, soit une capitalisation de près de 48 milliards de dollars. Rebelote ce vendredi. A mi-scéance, l’action gagnait plus de 10% et valorisait l’entreprise à plus de 50 milliards de dollars. Soit peu ou prou les valorisations folles évoquées cet été. Sept ans après sa création, Nubank devient ainsi la troisième capitalisation du Brésil et la première du secteur bancaire en Amérique latine, devant la banque centenaire Itaù (38 milliards de dollars).
Le pari lancé par David Vélez, son fondateur, est donc gagné. L’histoire de cette fintech est connue et fait désormais partie de ces aventures numériques devenues légendaires qui circulent dans toutes les écoles de commerce.
Lorsque que son fondateur, alors jeune ingénieur colombien engagé par le fonds d’investissement Sequoia, entre dans une agence bancaire au Brésil pour ouvrir un compte en 2013, il est consterné par le service : files d’attente, tracasseries administratives, frais exorbitants. Il a rapidement compris que son expérience était partagée dans toute l’Amérique latine, où près de la moitié de la population est non bancarisée.
Toujours plus !
L’histoire se résume ensuite à la rencontre disruptive de la révolution numérique avec un monde bancaire omnipotent et hyper concentré. En moins de sept ans ; à partir d’une plateforme technologique et d’une carte de crédit, Nubank est parti à la conquête du sous-continent, et est devenu le premier émetteur de cartes en Amérique latine. Elle revendique aujourd’hui quelque 48 millions de clients avec une offre complète de services bancaires.
La crise sanitaire a incontestablement aidé : Nubank a doublé son fonds de commerce depuis le début de l’épidémie. Aujourd’hui, la priorité de Nubank est d’accélérer son développement à l’international, y compris par des acquisitions.
En 2013, Sequoia investi un million de dollars dans la startup de son ancien salarié. Quatre ans plus tard, la fintech devient une licorne et attire les investisseurs internationaux. En juin dernier, le fameux fonds Berkshire de Warren Buffet a pris un ticket de 500 millions de dollars lors de la dernière levée de fonds, sur la base d’une valorisation de 30 milliards de dollars. Berkshire aurait acheté, lors de l’introduction en Bourse, 10% des actions mises sur le marché. Quant à Sequoia, sa participation est estimée aujourd’hui à plus de 7 milliards de dollars !
Pourtant, Nubank accuse toujours des pertes, une centaine de millions de dollars, sur un chiffre d’affaires d’un milliard (au 30 septembre). A noter que les revenus d’intérêts représentent 60% du produit net bancaire, un profil de recettes très proche de celui d’une banque à réseau.
La prime au digital
Alors comment expliquer cette folie fintech ? « Le contexte est tout d’abord globalement porteur, avec des excès de liquidités qui cherchent à s’investir. Ensuite, la fintech est l’un des secteurs qui a le plus attiré les investisseurs séduits par le modèle digital en cette période post-Covid. La crise sanitaire a permis d’ancrer
l’idée que le digital fait désormais pleinement partie de l’économie réelle et que les néobanques sont désormais en capacité de challenger les banques traditionnelles. Enfin, pour Nubank, il existe clairement une prime au leader », avance Adrien Choquet, directeur exécutif chez Gimar & Cie, une boutique spécialisée dans les F&A et les levées de fonds, notamment dans le secteur de la fintech.
Du paiement au crédit, en passant par l’assurance et le courtage, la révolution numérique bouleverse le secteur financier à grande vitesse, en dépit d’une régulation extrêmement contraignante. L’Europe n’est pas en reste, avec, notamment, la startup britannique Revolut, fondée en 2014, et valorisée plus de 33 milliards de dollars. La banque allemande N26, créée en 2013, vaut tout de même 9 milliards de dollars, malgré ses déboires réglementaires et son retrait précipité du marché américain.
Autre néobanque britannique, Monzo vient de franchir le seuil des 4,5 milliards de dollars de valorisation, lors de sa dernière levée de fonds de 500 millions de dollars, soit trois fois son prix estimé en début d’année lors de sa précédente levée de fonds. Mais, en l’espace d’un an, Monzo a doublé ses revenus et gagne, chaque, 100.000 nouveaux clients. Ils sont aujourd’hui 5 millions, mais seulement 6% ont souscrit à une offre payante.
En France, sur un marché de détail dominé par des réseaux mutualistes qui jouent la carte de la proximité, la fintech Lydia, star de la carte prépayée pour étudiants, vient d’endosser ses habits de licorne et revendique 5,5 millions de clients.
Cap sur la diversification de l’offre
Toutes ces sociétés ont deux points communs : un parcours client 100% digital et une croissance rapide du nombre de leurs clients. Elles perdent également toutes de l’argent car l’acquisition de clients coûte très cher. Pour autant, ces valorisations élevées ne semblent effrayer ni leurs dirigeants, ni les investisseurs.
« Je ne peux pas parler pour les autres mais notre valorisation reflète la croyance des investisseurs dans la capacité future de revenus, de rentabilité et de croissance. Nous avons déjà démontré des taux de croissance exceptionnels, en augmentant le nombre de clients de 45% l’année dernière et d’environ 25% cette année. Et nous investissons massivement dans notre croissance, notre personnel, nos produits et notre conformité, et nous continuerons à le faire. Il est également important de trouver un équilibre entre la croissance et la démonstration que notre modèle d’entreprise est rentable », souligne ainsi Joe Heneghan, directeur général de Revolut.
La mue progressive de ces néobanques en banques de plein exercice, notamment avec une offre de crédit, pourrait ainsi consacrer ces valorisations élevées. A la conquête stricto sensus, la nouvelle priorité est la diversification et les offres payantes.
« Aujourd’hui, peu de néobanques proposent une gamme universelle de services, notamment le crédit. Mais les fintechs sont en train de progressivement regrouper tous les services au sein d’une même application. Ce mouvement de « bundle », au travers notamment de « super app », sera un puissant levier de rentabilité et de fidélisation. C’est ce qu’achètent aujourd’hui les investisseurs », observe Adrien Choquet.
De Revolut à Revolut Bank
Le changement de dénomination de Revolut (16 millions de clients dans le monde) en Revolut Bank en Europe n’a en effet rien d’anodin. Concrètement, le client de Revolut en France (1,5 million) va désormais disposer de deux comptes, l’un de paiement, et d’autre bancaire qui bénéficie de la garantie des dépôts à hauteur de 100.000 euros (licence bancaire européenne obtenue en Lituanie). Ces deux comptes fonctionnent simultanément en toute transparence. L’intérêt est, tout d’abord, de jouer la sécurité, les banques traditionnelles bénéficiant toujours de la prime du tiers de confiance. Ensuite, il s’agit d’appuyer sur l’accélérateur pour déployer de nouvelles offres.
« Les clients recherchent des produits financiers qui leur donnent le contrôle total de leurs finances et les libèrent des coûts élevés et des frais imprévisibles et injustes, c’est pour ça qu’il y a une demande pour Revolut. Nous construisons une banque de nouvelle génération à un moment où les clients attendent
que les services bancaires soient aussi rapides, aussi transparents et aussi efficaces que tout ce qu’ils ont l’habitude de faire en ligne. Et il y a encore beaucoup à faire dans le secteur des services financiers pour y parvenir », résume Joe Heneghan.
Revolut ne cesse ainsi d’enrichir son app de nouvelles fonctionnalités et produits, au risque d’ailleurs de perdre en simplicité et en qualité du parcours client. C’est tout le danger qui guette les néobanques qui doivent maîtriser l’hyper croissance à la fois de leurs clients et de leur catalogue de produits, tout en préservant l’agilité en matière d’innovation.
« Même avec les dizaines de produits que nous avons ajoutés ces deux dernières années, l’expérience et la satisfaction du client restent au cœur de tout ce que nous faisons, et nous avons remanié l’application plusieurs fois pour nous assurer qu’elle reste facile à utiliser. Tous nos produits peuvent être utilisés en quelques clics seulement, et nous avons également introduit cette année la possibilité de personnaliser l’écran d’accueil pour n’afficher que vos produits et outils préférés », rassure Joe Henneghan.
Le temps des IPO
Mais contrairement à Nubank, ce dernier se montre prudent sur l’introduction en Bourse. En juillet dernier, lors de la dernière levée de fonds (800 millions de dollars), le fondateur de Revolut, Nicolay Storonsky avait déclaré préférer attendre plusieurs milliards de livres de chiffre d’affaires avant de se lancer en Bourse. En 2020, Revolut affichait un produit net bancaire de 260 millions de livres…
Encore faut-il que l’écosystème financier européen puisse encaisser des opérations à plusieurs dizaines de milliards d’euros dans le secteur de la fintech. Sur ce point, les choses évoluent vite, le secteur Tech prend de plus en plus d’importance dans les indices et une vraie base d’investisseurs spécialisés se constitue progressivement en Europe.
Le succès de l’introduction à la Bourse de Londres de Wise (transfert d’argent), en juillet dernier, avec une valorisation de 11 milliards de dollars, en témoigne. « Nous ne sommes pas encore au niveau de valorisation et de maturité du marché américain », nuance toutefois un banquier d’affaires. « Il y aura une étape supplémentaire de levées de fonds en Europe », estime-t-il, avant de voir la nouvelle génération des banques rayonner sur les places européennes.